La stratégie du Go de Claude GOT

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La chronique de ce matin vous conte comment Claude Got a fabriqué le lobby des « moines civils pour la défense de la santé publique » qui agit, depuis plus de vingt ans, avec une efficacité redoutable. En résumé c’est : comment travailler, intelligemment et efficacement, l’opinion publique à partir de vrais problèmes : l’alcoolisme, le tabagisme, les accidents de la route mais sans pour autant se donner, la plupart du temps, et c’est surtout vrai pour l’alcoolisme, les vrais moyens d’agir sur le fond de ces problèmes, c’est-à-dire de peser sur les causes économiques et sociales qui les génèrent. Avec une vision anticipatrice de la puissance des mass médias, de la force d’une communication pensée et compassionnelle, Claude Got a, comme dans le jeu de Go, patiemment encerclé ses « adversaires » et les a réduit à une stricte défensive, inefficace et contre-productive. Jugez par vous-même en lisant cet extrait du dossier n°39 du Canard « L’Archipel du Goulot » d’avril 1991.

C’est Got qui parle : «  Moi j’ai envie d’être efficace. Et aujourd’hui, rien ne se fait sans les médias. C’est pour cela que nous avons adopté un travail de lobbying. »

Étonnant travail, en effet ! Pour la première fois en France, un aréopage de médecins s’est constitué en groupe de pression. À l’américaine. Un groupe efficace, à moitié clandestin, organisé et sachant user de tous les relais. Un groupe qui a une longue histoire derrière lui.
Une histoire qui se confond avec celle de Claude Got. D’abord, à côté de son travail hospitalier; le professeur Got a été membre du cabinet de Jacques Barrot, de 1979 à 1981, alors ministre de la Santé, où des premières amitiés se sont nouées, des réseaux se sont constituées. Ensuite, c’est la rencontre avec le professeur Hirsch, chef de service de pneumologie à Paris. Celui-ci est l’auteur d’un rapport sur le tabagisme, en 1987. Beaucoup de propositions y sont faites, mais le pouvoir politique hésite à les mettre en pratique. «  Au début 1988, raconte alors le professeur Hirsch, je me trouve dans une impasse. La lutte contre le tabagisme n’avance pas. Alors je décide de me joindre à Claude Got que je voyais très efficace. » Résultat, après de mûres réflexions, c’est le Groupe des Cinq sages qui se met en place. Une structure on ne peut plus originale, fonctionnant comme une tête agissante dans la lutte contre les méfaits de l’alcool, du tabac, et aussi des accidents de la route. Il y a là, non seulement Got et Hirsch, mais également le professeur Dubois (médecin conseil à la SS); le professeur Maurice Tubiana (grand mandarin, ancien directeur de l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif) et, enfin, François Grémy (professeur de santé publique). «  Vis-à-vis du monde politique, le groupe des 5 n’a pas été constitué au hasard explique l’un d’entre eux. Deux d’entre nous sont proches du PS, un autre est centriste, un autre encore proche du RPR. Le dernier n’a pas d’affiliation politique déclarée. Et de préciser sans faux-fuyant :

« Lors des nombreux meetings avec des hommes politiques, nous étions toujours deux. L’un politiquement proche de nos interlocuteurs, l’autre opposé. Ce procédé a été très efficace. »
On le voit, c’est sans ambigüité aucune qu’ils ont décidé de faire monter la pression. Première étape : s’assurer du soutien de la communauté médicale. Pour cela, ils n’ont aucun mal à mettre dans le coup les deux prix Nobel de médecine français (Jean Dausset et François Jacob), le président du comité d’éthique, Jean Bernard, ainsi que le docteur Louis René, président du Conseil de l’ordre. Assurés de leurs arrières, ils peuvent passer à la deuxième étape : le recours systématique aux médias. Jouant habilement des rivalités des uns et des autres, ils arrivent à faire publier, sans mal, de nombreuses et répétitives tribunes dans le « Monde », sur leur combat. De même « Libération » fait régulièrement écho à leur travail. « Je suis toujours disponible, reconnaît le professeur Got. Pas un journaliste ne peut dire que j’ai refusé de lui parler. »

Troisième étape : l’attaque. Elle est sans concession. La veille de tout débat parlementaire, c’est la publication d’une tribune dans « Le Monde » et l’envoi d’un signal très clair au ministre de la Santé ; en substance, il lui est dit que, s’il recule, le groupe des 5 le dénoncera «  pour lâcheté politicienne ». C’est le combat frontal contre un conseiller du ministre, en l’occurrence le docteur Marschall, jugé trop mou. Et son remplacement par le docteur Cahuzac, considéré comme un des leurs. C’est un travail de lobbying, constant et dévoué : ce sont d’interminables soirées passées, pour Claude Got, dans son petit bureau de l’hôpital, où il écrit, sans fin, sur son Macintosh. C’est enfin le vrai sourire, le premier depuis des années, lorsque le combat paraît gagné, et que la fameuse loi interdisant toute publicité est votée, dans une nuit froide de décembre. »
En face, depuis 20 ans, qui est le stratège de la France du vin ?  Qu’elle est la stratégie du secteur face aux hygiénistes, où sont les moyens mis en oeuvre par ce si fameux lobby viticole pour promouvoir une image adaptée de son produit  et construire des messages compréhensibles par le grand public ? Des communicateurs pourtant ça ne manque pas, chaque appellation, chaque interprofession, chaque entreprise, fait du bruit chacun de son côté. Ensemble : que dalle ! Dans la réalité, en dehors des effets de manche autour et sur la loi Evin, c’est beaucoup de bruit pour rien, des discours pour se faire plaisir, des jérémiades, une méconnaissance absolue de l’évolution de notre société et une persistance dans l’erreur affligeante de beaucoup de « défenseurs » du vin. Alors, moi qui ne suis qu’un observateur, certes engagé, je contemple avec tristesse la pagaille qui règne, navré de voir l’agitation stérile et l’inefficacité chronique de la myriade des pompeurs de CVO qui n’ont pas encore compris que c’était aussi ça leur boulot. Oui, l’union fait la force, la stratégie du jeu de Go déployé par ce satané Claude Got en est la preuve mais ça les beaux esprits, jacobins ou girondins, de notre nébuleuse du vin ne l’ont toujours pas compris. Grand bien leur fasse mais, de grâce, ne nous plaignons pas des résultats de cette absence de stratégie : quand on laisse le champ libre à ses « adversaires » il est rare de gagner la partie…

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